Phileas Lebesgue Vers 1930 Dr, René Maran

L’amitié entre René Maran et Philéas Lebesgue par François Beauvy

René Maran et Philéas Lebesgue

Une longue amitié

 

Le 17 février 1913, de Grimari, en Afrique équatoriale française où il est en poste, René Maran adresse sa première lettre à Philéas Lebesgue, son aîné de dix-huit ans. Il le remercie de l’envoi de l’un de ses livres, dédicacé. En 1915, profitant d’un congé en métropole, René Maran vient le rencontrer à Beauvais. C’est le début d’une grande et sincère amitié de quarante années, sans discontinuer.

Ils se sont connus par l’intermédiaire de la revue lilloise de Léon Bocquet, Le Beffroy, dans laquelle ils publient tous deux leurs poèmes, en même temps que quelques autres tel Louis Pergaud.

René Maran possède un caractère droit et indépendant semblable à celui de Philéas Lebesgue. Toute leur vie ils vont se confier leurs pensées littéraires et quelquefois politiques. Tous deux vivent avant tout pour les livres que René Maran qualifie de « beaux amis immobiles, qui se plient à nos pensées les plus secrètes. » Du fond de la brousse, il l’informe de ce qu’il lit, de ce qu’il écrit, en particulier de son roman Batouala, avec le sous-titre Véritable roman nègre, pour lequel Philéas Lebesgue le pousse à persévérer en périodes de découragement. René Maran l’écoute et obtient le Prix Goncourt en 1921. C’est une grande victoire pour ce Français originaire des îles lointaines. Le jury du Goncourt ne s’y est pas trompé, René Maran est un écrivain de talant.

En Afrique, les revues littéraires auxquelles il est abonné mettent plus de trois mois avant de lui parvenir. « Une lettre de vous les remplacera, vous ne l’ignorez pas », écrit-il à Philéas Lebesgue, le 5 mars 1921. René Maran démissionne en 1923 de son poste d’administrateur colonial en Oubangui-Chari (Afrique équatoriale française). Il vit alors de sa plume, à Paris, comme il le souhaitait depuis longtemps et produit des émissions sur l’Afrique noire à la Radiodiffusion française. De temps en temps, il retrouve Philéas Lebesgue qui apporte l’une de ses chroniques littéraires au siège du Mercure de France où tous deux sont rédacteurs. Ils s’écrivent en outre régulièrement et René Maran vient rendre visite au poète, dans son village de La Neuville-Vault, près de Beauvais. « Il est entendu que je dois aller vous voir dans le courant de novembre », écrit-il le 24 octobre 1923.

Le 20 juin 1927, il remercie Philéas Lebesgue d’un article que celui-ci lui a consacré dans le quotidien La République de l’Oise. « Vous avez eu raison de mettre sur le même plan nègres et paysans. Les nègres pour ainsi dire sont des paysans raciaux. On en a besoin, mais on les méprise, comme les paysans. » Dans une émission de radio qu’il produit le 10 août 1939, il présente Philéas Lebesgue sur Paris-Mondial. Il lui écrit avec régularité, d’une écriture franche et nette, ne ménageant ni la chèvre ni le chou, tant sur les sujets littéraires que politiques, ainsi, le 4 août 1940, après une critique acerbe de la politique intérieure et extérieure de la France avant le conflit, il écrit : « Je songe néanmoins à la cécité volontaire de nos services de propagande. Quels services n’aurions-nous pas rendus, vous et moi, s’ils avaient seulement voulu nous employer à l’étranger ! Mais je ne suis qu’un nègre et vous n’êtes qu’un paysan. »

En mai-juin 1940, il se trouve à Bordeaux, mais craignant pour sa bibliothèque restée à Paris, il rejoint la capitale dès septembre. Mis à part un court séjour dans l’Yonne à la fin de l’été 1941 et dans la Sarthe en août 1942, il demeure à Paris avec sa femme jusqu’à la Libération sans être inquiété. Son humour se montre révélateur ; sur chaque lettre adressée à Philéas Lebesgue, il colle le timbre-poste à l’effigie de Pétain la tête en bas. Le 23 août 1942, il lui écrit : « Le navire France, désemparé, dérive sans boussole et sans gouvernail, sur une mer en démence. » Il ne perd pourtant pas espoir « Courage, mon cher ami. Partout et toujours. »

René Maran a trois grands amis auxquels il rend régulièrement hommage : Félix Éboué, Guadeloupéen et gouverneur des colonies, Manoel Gahisto, traducteur littéraire auquel il dédie son livre Batouala, et Philéas Lebesgue qu’il félicite, le 19 avril 1953, après avoir appris sa promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur, achevant ainsi sa lettre, la dernière : « Laissez-moi vous embrasser, mon bon grand Philéas Lebesgue. »

François Beauvy

Président de la Société des Amis de Philéas Lebesgue

20 décembre 2020

 

Référence : François Beauvy, Philéas Lebesgue et ses correspondants en France et dans le monde de 1890 à 1958, thèse de doctorat, Paris X – Nanterre, 2003, publiée en 2004, Beauvais, Awen, 674 p,